samedi 17 décembre 2011

Bannissement et régulateurs.

Il y a quelques jours, la Financial Security Agency (FSA) a publié son rapport sur la chute de Royal Bank of Scotland (RBS). Le rapport est assez épais (500 pages). Initialement (en décembre 2010) la FSA avait publié un petit communiqué (298 mots!) disant qu'il n'y aurait pas de poursuites civiles ou régulatrices associées à la chute de RBS et pas de rapport. Après une indignation du public et de politiques un rapport concernant non seulement la chute de RBS elle-même mais aussi de sa supervision par la FSA a été décidé.

Avant de discuter certaines propositions du rapport et une proposition personnelle, je voudrais suggérer que le même type de rapport soit produit en Belgique. Sur Fortis  on possède un rapport d'experts indépendants mais pas d'analyse du travail des régulateurs (CBFA) et de la banque centrale (BNB). Concernant Dexia, il y a une commission en cours, mais je ne suis pas certain qu'un rapport exhaustif soit prévu. Mrs et Mmes les politiques et régulateurs, puis-je suggérer que de tels rapports soient publiés en Belgique aussi? Ces documents seraient d'importants outils pour comprendre le passé et une fondation pour construire la confiance nécessaire pour le future.

Parmi les recommandations de la FSA, certaines concernent les membres des comités de direction des banques faillies. Le rapport suggère que la loi devrait être changée pour qu'ils soient bannis automatiquement, paient des amendes et doivent rembourser leur salaire. Je suis contre les deux dernières proposition, sauf en cas de fraude. Par contre, comme j'en ai parlé dans des blogs précédents (Hedge fund communal!, Econome avec la vérité!, Di Rupo au conseil d'administration de Dexia), je suis en faveur du bannissement. Il ne devrait pas s'appliquer uniquement aux directeurs mais aussi aux administrateurs. Dans le cas de Dexia, il y a eu des politiques dans le conseil d'administration.  Les noms sont bien connus (Di Rupo, Kubla, De Haene, Vermeiren, …), je n'ai entendu aucun d'eux dire "je n'ai pas rempli mon rôle d'administrateur". Dans les témoignages à la commission, je n'ai pas entendu une seule fois quelqu'un dire que le conseil d'administration avait posé les bonnes questions mais on leur avait refusé les réponses; je n'ai entendu aucun des membres dire qu'il avait contacté les régulateurs. Ces membres des conseils d'administration ont failli à leurs responsabilités envers les actionnaires et envers de la société en général qu'ils étaient sensés représenter. L'activité de membre d'un conseil d'administration d'une institution financière devrait leur être interdite. Si les membres du conseil d'administration d'une banque sont relativement biens payés pour un travail assez court, c'est qu'on leur demande beaucoup de connaissances financières, une grande expérience et un travail d'analyse (peut-être aidé par une équipe) en dehors des réunions. Aucunes des ces trois caractéristiques ne semble avoir été l'apanage des membres du conseil d'administration. Pour les manques à leurs devoirs, je suis pour leur bannissement de toute activité à responsabilité dans la finance (pour une durée à déterminer). Cela devrait inclure non seulement les banques mais aussi les institutions financières en général, les holdings (le Holding Communal en particulier) et les responsabilités publiques liées à la finance (échevin ou ministre des finances ou du budget).

Une autre partie des recommandations concerne les régulateurs eux-mêmes. Les régulateurs admettent que les règles en vigueur à l'époque n'étaient pas adéquates. Il se référent entre autres aux accords de Bâle sur le capital, le cadre pour les risques de marché et à l'absence d'analyse des effets de levier. Le rapport indique aussi que les ressources des régulateurs étaient limitées. Il n'y avait pas une analyse en profondeur des méthodes utilisées par les banques pour calculer les chiffres utilisés pour satisfaire les règles. Les régulateurs ne contestaient pas l'approche des affaires et leurs risques inhérents. Cela veut dire que les conséquences des stratégies pour différent scénarios possibles n'étaient pas analysées. Il en allait sans doute de même en Belgique puisque les régulateurs et la Banque nationale ne se sont pas demandé ce qu'il se passerait pour Fortis avec le rachat d'ABN ou pour Dexia avec son portefeuille obligataire de plus de 200 milliards.

Dans les conclusions liées à ces analyses, la FSA indique que les règles ont été améliorées ces dernières années et que la FSA est maintenant "une structure différente". Le régulateur a plus de ressources et des employés avec de meilleures connaissances. Je n'ai pas de doutes que ces affirmations soient vraies. Mais cela est-il suffisant? L'approche proposée est une version améliorée de la même philosophie de la régulation. Une approche qui ressemble à l'approche utilisée dans beaucoup de banques pour la gestion des risques; une approche qui privilégie la forme sur le fond. Si les règles sont formellement respectées, on ne regarde pas plus en profondeur.

Par exemple les règles sur les capitaux sont toujours basées sur des chiffres comptables, non pas sur des réalités économiques (ce qui serait plus difficile à définir). Le "Tier 1 ratio" utilise une valeur comptable comme numérateur. Et on sait que les différentes banque belges qui ont eu des problèmes (Fortis, Dexia, KBC) ont toutes des ratios élevés. Même Dexia avait un Tier 1 ratio bien au-dessus des minimums réglementaires la veille de son démantèlement. Les règles sur le risque de crédit Bâle III utilisent les "corrélations" comme pierre angulaire. Ce type d'approche a créé de nombreux problème dans la gestion des CDO et d'instruments similaires. Les régulateurs augmentent simplement les corrélations pour augmenter le coussin de protection; ce qui fonctionne pour une institution qui a seulement des actifs, mais pour une institution qui a des actifs et des passifs avec les même contreparties, le résultat est incertain. On met les mauvais chiffres dans les mauvais outils et on espère obtenir les bons résultats! Les règles sont peut-être meilleures qu'avant, mais pas une garantie. Les régulateurs sont peut-être plus nombreux et meilleurs qu'avant mais il ne suffit pas d'être meilleur que ceux qui ont échoué pour réussir, il faut être meilleur que les obstacles. Je n'ai pas vu d'annonces de recrutement des régulateurs qui cherchaient des "docteurs en sciences ou finance avec plus de 10 ans d'expérience dans la finance". Pourtant ce sont les profils régulièrement demandés par les banques et les hedge-funds.

Je voudrais proposer une approche différente aux régulateurs. Je propose d'utiliser moins de règles et plus de jugement. Les régulateurs devraient avoir la possibilité d'avoir des jugements sur la situation d'une banque qui va au-delà des règles établies. On peut très bien calculer un Tier 1 ratio et avoir un régulateur qui dit que le capital sur lequel ce chiffre est calculé est trop incertain pour servir de base solide. Par exemple Dexia avait pratiquement 15 milliard en réserve AFS (Available For Sale)  à un moment; c'est-à-dire qu'il y avait 15 milliards de différence entre les chiffres comptables et la valeur de marché pour une partie du bilan, 15 milliards d'incertitude. Néanmoins ces 15 milliards étaient comptabilisés comme si c'était de l'or en barre. Pour certains avoirs des valorisations "hautes" (ce qui veut souvent dire irréalistes) on été utilisées à travers la crise; qu'on utilise ces chiffres pour les comptes officiels et les taxes ne me pose pas de problème, mais le régulateur doit avoir la possibilité de dire "il y a une incertitude sur ces chiffres, que ce passe-t-il si on prend des valorisations basses"? Bien sur cela veut dire des régulateurs aussi compétents que les banques elles-mêmes. A-t-on ces compétences en Belgique? Je veux croire que oui. Nous avons des universités de bonnes qualités avec des chercheurs reconnus internationalement. Peut-être les régulateurs pourraient employer certains professeurs à temps partiel comme consultants (on pourrait ainsi augmenter le nombre de professeurs d'université sans augmenter la charge salariale totale, une partie du salaire étant payée par le régulateur). Il y a certainement des employés d'institutions financières avec des compétences techniques qui seraient intéressés de travailler pour les régulateurs. Pour accommoder ce genre d'expert dans une structure publique il faudrait probablement changer quelques règles et mentalités. Il faut accepter que des experts soient plus importants (et mieux payés) que certains responsables d'équipes, que dans une équipe le numéro 10 est parfois plus important que le coach et le président du club.

L'approche que je propose est peut-être nouvelle et peut paraître audacieuse, mais il est possible de la mettre en oeuvre sans trop de risques. Pourquoi ne pas commencer pas une petite équipe d'experts et essayer une régulation plus pro-active? Pourquoi ne pas aller au-delà des "pratiques dominantes" (c'est le terme utilisé dans le rapport de la FSA pour justifier leur comportement) et faire preuve d'inventivité. Des régulateurs avec le bagage technique et l'expérience suffisante pourraient donner une opinion au-delà des règles. Si on garde les règles existantes (ou des améliorations de celles-ci) comme exigences minimales, les risques supplémentaires sont nuls et les gains potentiels importants. En finance un gain potentiel sans perte possible est appelé un "arbitrage"; la théorie économique dominante prétend que ces arbitrages n'existent pas, car s'ils existaient quelqu'un en aurait déjà profité avant vous et les aurait fait disparaître. Je propose d'être les premiers à en profiter!