dimanche 29 janvier 2012

Petite fable de la crise.

Fable simpliste et imagée de la crise.

Un certain nombre d'établissements financiers, en général dirigés par des gestionnaires avec une expérience bancaire directe limitée, ont joué aux apprentis sorciers. Ils ont créé des monstres et ont réussi à les cacher derrières des fumées comptables avec l'aide de notations de l'école des fans. Ils ont aussi profité de la bienveillance (involontaires?) de régulateurs plus attachés à la lettre de leur règles qu'à la réalité économique. Quand il n'a plus été possible de cacher ces monstres, la crise a commencé.

C'est une crise de crédit et de liquidité mais avant tout une crise de confiance. Sachant qu'il est possible de cacher des monstres, chacun redoute le super-monstre du voisin (son défaut). Les établissements qui ont un bilan trop grand par rapport à leurs dépôts cherchent des liquidités, ceux qui ont des liquidités ne savent pas quoi en faire et ne veulent pas les prêter aux "cachotiers" d'hier par peur du super-monstre caché. On a donc les "pauvres en cash" qui ont besoin de la drogue dure liquide de l'ECB et qui espèrent que les "prix de marché" ne reflètent pas vraiment la valeur économique réalisable de leurs biens. Il faut qu'ils récupèrent une partie de leurs pertes (cachées) pour survivre. D'un autre coté il y a les "riches en cash" qui espèrent que les autres leur rendrons leurs jouets (le cash). En attendant ils ne veulent pas ajouter à leurs cauchemars actuels et ne veulent pas manger avec le diable sauf avec une grande fourchette. Ils utilisent l'ECB ou du bon collatéral comme longue fourchette.

samedi 28 janvier 2012

Taxe sur les Transactions Financière: mes prédictions

Une Taxe sur les Transactions Financières est en discussion. Si je comprends bien la taxe, elle serait de 0.10% du prix sur les produits standards (actions, obligations, etc.) et de 0.01% du notionnel sur les produits dérivés. Cette taxe serait d'application sur toutes les transactions financières faite dans une certaine zone géographique. Pour moi il y beaucoup d'inconnues dans une telle proposition: quel est la définition d'une transaction financière, ou d'un produit "dérivé", comment le prix est déterminé, etc.; mais je suppose que si une règle est mise en place elle précisera ces "détails". Si la transaction est entre deux entités de la zone dans laquelle la taxe est d'application, la taxe est due (je ne sais pas si elle est payée par chacune des entités). Si la transaction est faite entre une entité de la zone et une autre hors zone, il n'est pas claire si la taxe est due ni comment elle est payée (par définition l'entité hors zone n'est pas sujette à la régulation de la zone en question).

Plusieurs avantages de cette taxe sont mis en évidence: un revenus important pour les états, une diminution du nombre de transactions financières et une diminution de la "spéculation".

La première remarque est que ce type de taxe est assez différent d'une taxe comme la TVA dans le sens que cette taxe s'appliquerait à toutes les transactions et pas seulement celle avec le consommateur final. Si un particulier achète une obligation à une banque de détail qui l'a achetée à une banque d'investissement qui l'a achetée à un émetteur, la taxe est due trois fois. Quand on achète un bien non-financier à un détaillant qui l'a acheté à un grossiste qui l'a acheté à un intermédiaire qui l'a acheté au fabricant, la TVA n'est due qu'une seule fois, sur la transaction finale.

Le montant de la taxe est-il élevé? Un argument des défenseurs de la taxe est que le montant est extrêmement bas et presque invisible et indolore. Cet argument est erroné pour les transaction sur le marché interbancaire. Si on prend les produits les plus liquides (ceux où il y a le plus d'échanges, comme une transaction de change EUR/USD ou un swap de taux d'intérêts de un an), le 0.01% (ou 1 point de base) est plus ou moins l'écart achat/vente sur ces produits; ce qui veut dire que le bénéfice sur un achat et une vente d'un "grossiste" (market-maker) est de 1 point de base. La taxe est donc le double du bénéfice, c'est très différent de "invisible et indolore"! Prenons l'exemple d'une transaction de change. Des clients d'une petite banque européenne achètent des biens aux Etats-Unis et transfèrent des dollars au vendeur. La banque locale appelle une grande banque pour effectuer une transaction de change de couverture (par blocs de un million, qui est l'unité pour les transactions de change). La grande banque passe par un "broker" (intermédiaires) pour trouver une autre grande banque qui a un intérêt opposé (qui veut acheter des EUR et vendre des USD dans ce cas) provenant par un cycle similaires d'autres particuliers. Pour une transaction standard d'un client (particulier ou entreprise) à un autre client, il y a donc facilement cinq transactions; les trois au milieu se partageant le "un point de base". Pour répondre à la question du début du paragraphe: oui une taxe de 0.01% du notionnel sur les produits dérivés est une taxe élevée.

Pour les produits de taux d'intérêts les plus liquides, l'écart achat/vente est environ un point de base, non pas du notionnel, mais de l'intérêt annuel. Donc pour un swap de un mois, le chiffre de 0.01% du notionnel est douze fois le profit d'une double transaction achat/vente, c'est-à-dire que la taxe est 24 fois le profit!

La plupart des transactions financières ont pour but, non pas la spéculation, mais la couverture de risques financiers, une espèce d'assurance. Si on veut faire rentrer de l'argent dans les caisses, on pourrait aussi mettre une taxe sur le nominal des assurances. Pour une assurance sur une maison d'une valeur de 200,000 EUR, la taxe serait donc de 20 EUR; une taxe sur chaque assurance: incendie, dégâts des eaux, juridique, vol, … Si vous avez une assurance RC avec une limite de 5 millions, une taxe de 500 EUR, une assurance voyage, une autre taxe,… On arrive rapidement à des milliers d'EUR de taxe. Les compagnies d'assurance se tournant régulièrement vers des compagnies de réassurance, il faudrait doubler le montant. Un peu comme une entreprise qui devrait payer un TTF sur ses couvertures de change, de taux d'intérêts, d'inflation sur la pension, etc. Cela diminuera-t-il la spéculation ou réduira-t-il l'utilisation des "assurances"?

Revenons à un but de cette taxe: un revenu pour les états. Des exemples ci-dessus il est clair que la plupart des transactions décrites deviennent déficitaires avec la taxe; elles disparaissent. Avec les exemples ci-dessus, le résidu des transactions de change est 40% des montants initiaux, les swaps de taux d'intérêts à court terme disparaissent complètement. Ces derniers forment la plus grande partie des produits dérivés de taux (2/3 des transactions sont en dessous de 2 ans sur Clearnet), il restera peut-être 20% de ces montants sur les dérivés de taux.

Si la taxe n'est pas mondiale (et il est claire qu'elle ne le sera pas), les acteurs principaux déplaceront leur salle des marchés là où la taxe n'existe pas. Les transaction financières étant des services "immatériels", rien ne s'oppose qu'ils se fassent n'importe où sur la terre ou même sur la Lune si nécessaire. Si la taxe dépend du pays d'origine de l'opérateur plutôt que de la localisation, une nouvelle firme avec la bonne origine sera crée. Les montants rapportés par la BRI et d'autres organisations concernent principalement des transactions interbancaires. La grande partie de ces transactions ne rapportera donc rien sous cette taxe.

Egalement, attacher une taxe sur le notionnel d'un produit dérivé me semble absurde. Le notionnel n'est qu'un montant de référence pour le calcul des payements du produits; il n'a à priori pas vraiment de réalité économique, c'est juste un chiffre sur un contrat. Je peux prédire que si une telle taxe est un jour votée, un changement qui aura lieu rapidement, avant même le déplacement (physique) de certaines salles des marchés là où la taxe n'est pas d'application, est le changement de ces montants de référence. Un swap entre un taux fixe et un taux variable Euribor sur 10 millions d'EUR deviendra un swap entre un taux fixe (10 fois plus élevé) et 10 fois Euribor sur 1 million d'EUR et tant qu'on y est un swap entre un taux fixe et 10 millions de fois Euribor sur 1 EUR! On peut jouer le même jeu sur n'importe quel produit dérivé, il suffit de changer la description avec des divisions et des multiplications au bons endroits. Une autre technique que l'on verra certainement est de remplacer chaque couverture individuelle par une couverture globale, au lieu de couvrir le risque de taux d'intérêt, le taux de change, l'inflation sur les pensions, etc. séparément, on demandera une couverture globale avec un seul contrat. Cela réduira la standardisation des contrats et poussera à plus de gré à gré et moins de transparence. D'un autre coté, il faudra être très prudent dans la définition de "produit dérivé"; il est très facile de transformer un achat d'obligation (taxe de 0.10%) en un produit dérivé (taxe de 0.01%); par exemple l'achat d'une obligation à 95% de la valeur faciale peut être remplacé par une transaction d'option "call" avec un prix d'exercice de 90% et une prime de 5%.

Predictions!

Mes prédictions si la taxe est appliquée mondialement (et elle ne le sera pas):

Les montants notionnels des transactions diminueront d'au moins 50 à 75% (les chiffres espérés de rendement ne seront jamais atteints). La taxe collectée sera reportée sur les utilisateurs finaux (particulier et entreprises).

Mes prédictions si la taxe est appliquée seulement dans un nombre limité de pays:

Il y aura une disparition presque complète des transactions interbancaires là où la taxe est d'application et une diminution des autres transactions financières (comme cela c'est passé en Suède quand elle a introduit ce genre de taxe et où les montants collectés étaient 3% des montants espérés). Seules les transactions des particuliers et des petites entreprises resterons et c'est ces derniers qui payerons la taxe. Un des buts de la taxe: un revenu important pour les états ne sera jamais réalisé. L'industrie financière de ces pays sera fortement réduite, avec des pertes d'emplois et d'impôts. Si le but est de diminuer le nombre de transactions, ce but sera atteint, au moins là où la taxe est d'application; mais je ne vois pas l'intérêt de ce but. Pour ce qui est de la spéculation, elle pourra toujours ce faire, très légèrement diminuée mais ailleurs.

Au total je prédis un échec de ce genre de taxe et des dommages importants pour les pays qui l'introduiront en premier lieu. J'espère que la Belgique ne sera pas parmi ceux-ci.

Alternative miracle?


Est-ce que je propose une alternative miracle? Non, les remèdes miracles n'existent pas! Ceux qui proclament qu'un remède miracle comme une simple taxe sur les transactions financières pourrait résoudre tous les problèmes sont soit ignorants soit démagogues.

De même le cris de "faire payer la crise aux banquiers" n'est pas une solution; la crise est là et même si on tue tous les banquiers elle sera toujours là. Ce qu'on peut essayer de faire, c'est d'éviter les crises bancaires futures. Ce qui n'est bien sur pas possible non plus (sauf en supprimant les banques et l'argent et en retournant au troc), mais au moins on peut essayer de faire mieux.

J'ai promis que je n'avais pas de remède miracle et je tiendrai mes promesse: je n'en proposerai pas. Tout au plus je donne quelques pistes qui me semblent possibles pour améliorer un peu les choses. Cela passe sans doute par un changement de mentalité, un remplacement d'une partie des dirigeants "manager" par des gens techniquement plus compétents, des conseils d'administration plus indépendants et plus critiques (en Belgique moins politiques, en incluant des gens moins issus du "sérail"). J'ai déjà mentionné deux de ces pistes que j'aimerais voir poursuivies: des régulateurs différents et plus de transparence. Les régulateurs devraient avoir plus d'autonomie et être moins proches de règles figées mais faire preuve de plus de transparence. Ils pourraient devenir des espèces d'agence de notation, donnant un avis sur le bilan et la gestion des risques dans les banques! J'espère voir plus de transparence en général; le contenu des bilans et les salaires et mandats des dirigeants devraient être une information disponible à tous les actionnaires.

samedi 21 janvier 2012

Commission Dexia: audition de Mr Mariani.

Ce vendredi je n'étais pas au parlement pour l'audition de Mr Mariani, mais j'ai découvert que la RTBF retransmettait l'"évènement" en direct sur son site web. Merci a la technologie (et au service public).

Comme pour l'audition de Mr Thiry lundi, je ne prétends en rien faire un résumé de l'audition, simplement je mentionne quelques points qui ont retenus mon attention.

Mr Mariani est meilleur orateur et beaucoup plus fin "politicien" que Mr Thiry. A mes yeux cette dernière caractéristique n'est pas un compliment; cela veut dire qu'il est plus difficile d'obtenir une réponse claire à certaines questions. On sent que l'expérience première de Mr Mariani est une expérience politique (il était chef de cabinet de N. Sarkozy) avant d'être une expérience de banquier. C'est triste, on a pas eu droit aux jolies expressions de "monnaie de singe" et de "doux dingue" utilisées par Mr Thiry.

La premier point qui a retenu mon attention est la rengaine habituelle de dire que si on avait crée une "bad bank" cela aurait nécessité 20 milliards en augmentation de capital. Il est vrai que les différentes structures composant Dexia auraient été obligées de déclarer leurs pertes plutôt que de les cacher derrière des artifices comptables, mais cela n'aurait en rien changé la valeur économique du tout. La présidente le lui a fait remarqué en déclarant: "Vous ne vouliez simplement pas acter des pertes". C'était un des principes de la "gestion des risques" chez Enron que cette gestion devait se baser sur les chiffres comptables plutôt que la réalité économique et avait pour finalité d'améliorer ces chiffres. Peut-être y a-t-il un lien caché entre la défunte Enron et la presque défunte Dexia SA.

Mais certainement ce petit jeu devient lassant; si chaque auditionné joue avec les mots on n'est pas sur d'obtenir un jour "toute la vérité". Et il semble que Mr Mariani soit très fort au petit jeu de "jouer avec les mots" (voir ci-dessous).

Le deuxième point est le rapport entre les prêts de Dexia Bank Belgium (DBB) à Dexia SA et DCL et la garantie des états. Cette intervention a été rapportée de manière un peu confuse dans la presse; probablement parce que l'explication de Mr Mariani était confuse. Il n'est pas clair pour moi si cette confusion est intentionnelle ou si elle est le reflet de la compréhension personnelle de l'orateur. La structure "Dexia résiduelle" a actuellement besoin de la garantie et de DBB pour son financement. Si elle utilise la garantie elle doit en premier lieu rembourser DBB (c'est une des conditions de la garantie, si j'ai bien compris). Il n'a pas indiqué à quelles conditions (quels taux) étaient faits les prêts de DBB à Dexia SA (et personne le l'a demandé) mais on peut supposer que c'est aux conditions d'"amis" du temps de la solidarité d'un groupe unique. Par contre les emprunts avec garantie des états requièrent le payement d'une prime. Il n'y a donc pas d'urgence pour Dexia SA à rembourser DBB. La garantie provisoire et partielle est de 45 mlds maximum; si elle était utilisée dans son entièreté elle servirait pour moitié à rembourser DBB. Il vaut mieux attendre la garantie totale de 90 milliards avant de s'en servir. Mr Mariani a obscurci cela en parlant de "collatéral" bien qu'il y n'y ait de collatéral ni dans les prêts de DBB (c'est pour cela qu'ils sont dangereux pour DBB) ni dans la garantie des états. Il se justifie en disant que s'il y avait assez de collatéral de qualité dans les portefeuilles de Dexia, elle pourrait emprunter avec collatéral (à la BCE ou dans le marché "repo") et n'aurait pas besoin de la garantie. Mais cela je crois que tout le monde en est conscient: si Dexia SA était un holding sain avec des portefeuilles sains, il n'y aurait pas besoin de garantie des états (et il n'y aurait pas de "Commission Dexia")

Il semble que Dexia a emprunté en décembre à travers le mécanisme d'emprunts d'urgence dans le système de la BCE. Quand le député Gilkinet lui a demandé plus de détails, Mr Mariani a indiqué poliment mais fermement que ce n'était "pas une information publique".  Cela rappelle la demande de Mr Piret (CRO de Dexia) d'être entendu à huis-clos. Voilà un CEO d'une institution en partie propriété de l'état (Dexia SA) qui parle d'emprunts faits à un institution publique, en partie propriété de l'état (la BNB) avec des représentants de l'états (les députés) et qui se cache derrières un "secret". Encore une fois, c'est comme si mon oreille droite ne pouvait pas écouter quand ma bouche parle à mon oreille gauche! Une autre question intéressante serait de savoir qui exactement a emprunté en utilisant le mécanisme d'urgence; Dexia SA n'étant pas une banque, elle n'a normalement pas accès à ce mécanisme. Les emprunts ayant été faits par une banque belge, il ne reste que DBB. Mais DBB ne fait plus partie du groupe Dexia. Pour moi les détails exacts de ces emprunts d'urgence restent un mystère.

Plusieurs questions ont été posées pour savoir quand exactement le "démantèlement" avait été discuté pour la première fois au conseil d'administration. Mr Mariani a été très attentif (et très long) pour dire que cela n'avait jamais été discuté avant octobre 2011. A un moment il a fait la déclaration suivante: "Quand Mr Dehaene et moi avons déclaré que la scission de Dexia n'était pas envisagée, nous voulions dire qu'aucune scission de l'actionnariat n'était envisagée." Je ne sais pas exactement ce que "scission de l'actionnariat" veut dire, mais pour moi cela ressemble fort à la répétition d'une défense prévue pour l'enquête ouverte par le parquet à propos des communications faites par Dexia aux actionnaires avant le démantèlement.

"Un astrologue ne saurait avoir le privilège de se tromper toujours ». 
Voltaire

Et donc il faut bien que je sois d'accord avec Mr Mariani sur au moins un point. Là où je suis (en partie d'accord) avec Mr Mariani, c'est sur les salaires. Les salaires dans la finance sont élevés; si Dexia (SA et DBB) veux garder de bons éléments elle doit payer des salaires compétitifs. Et Dexia aura besoin de bons employés dans les années à venir. Je parle seulement des "bons" et pas des "meilleurs", car il est probable que ces derniers sont déjà en grande partie partis. Je suis seulement en partie d'accord car son explication de cette "nécessité" est assez embrouillée et joue avec les mots (encore une fois). Les employés de Dexia ont un salaire de base et une "prime de fonction". Cette prime est une partie de la rémunération mais porte un autre nom pour des raison "historiques" (et un peu pour des raisons légales). Les salaires dans la finance sont élevés mais les "grilles" Dexia ne reflètent pas ce fait et donc il faut donner un autre nom à une partie de la rémunération pour résoudre le problème. Problème qui est seulement un problème interne d'apparence et pas un problème de fond. Utiliser le nom existant de "prime de fonction" pour payer un "bonus" est une autre technique pour ne pas appeler un chat un chat. La "prime" est non-récurrente et récompense (d'après Mr Mariani) le bon travail des équipes. En langage commun cela s'appelle un bonus; pas dans le langage actuel de Dexia. Très bien, nous en prenons note, mais cela ne change en rien le fond des choses. Mr Mariani a aussi déclaré que pour 2008 aucun "bonus" n'avait été payé; encore une fois c'est faire preuve de mauvaise foi et jouer avec les mots. Pour 2008, Dexia a payé des "primes de rétention". Bien que appelées "de rétention" ces primes n'étaient liées à aucune obligation de la part de ceux qui les ont reçues; c'était un bonus qui ne disait pas son nom. Mr Mariani aime aussi dire du mal de la direction précédente. Et il ne s'en est pas privé quand il a parlé des salaires et de celui de son prédécesseur en particulier. Il semble que Mr Mariani a une rancune personnelle contre son prédécesseur, Axel Miller; peut-être parce que celui-ci était apprécié des employés.

Depuis le début de la commission, on a l'impression d'entendre toujours un peu la même chose mais de ne pas avoir toute la clarté voulue. J'espère que les députés on une vue plus claire que la mienne et que cela leur permettra de proposer des conclusions claires pour améliorer les choses. Ayons confiance!

Risk management strategies are directed at accounting, rather than economic, performance. 
Enron in-house risk-management manual.

Got for a business than any idiot can run, because sooner or later any idiot is going to run it.  
Peter Lynch - grand investisseur - 1944 
 

lundi 16 janvier 2012

Commission Dexia: audition de Mr Thiry

Ce lundi après-midi, la commission Dexia auditionnait Mr B. Thiry (administrateur de Dexia et administrateur délégué d'Ethias). Je n'étais pas loin du parlement au moment de l'audition et j'ai décidé d'aller voir comment cela ce passait.

Au total j'ai trouvé cette audition assez "soft"; pas de question agressive et pas d'obligation de donner de vraies réponses (j'y reviens plus tard). Mr Thiry a expliqué son implication dans la structure Dexia et a résumé sa vision de la débâcle. Son audition était sans grande profondeur mais sans trop de langue de bois (ce n'est pas souvent qu'un administrateur qualifie la conséquence d'une décision du conseil d'administration de "monnaie de singe") et parfois avec des absences de réponse. Pour les questions des députés (il y a eu des question de cinq d'entres eux), j'ai cette même impression mitigée: ceux qui ont posé des questions avaient bien écouté l'auditionné et ont posé des questions pertinentes, mais je n'ai pas eu l'impression de beaucoup de profondeur. Les députés qui ont posé des questions sont: Joseph George, Meyrem Almaci, Georges Gilkinet, Christiane Vienne et Marie-Christine Marghem.

Les paragraphes suivant ne représentent pas un résumé de l'audition mais simplement quelques points qui ont attirés mon attention.

Mr Thiry a rappelé qu'Ethias avait opéré des réductions de valeurs sur ses actions Dexia en 2008, 2010, 2011, contrairement au Holding Communal et qu'Ethias SA n'avait plus aujourd'hui de risque Dexia dans ses portefeuilles. C'est la vérité mais pas toute la vérité (la même expression que j'utilisais à la suite d'un interview de Mr Mariani). Il est vrai qu'Ethias a enregistré des "réductions de valeur" sur ses actions Dexia, mais tard et pas en totalité. Les réviseurs n'étaient pas d'accord avec les comptes 2009 de Ethias (Dexia valorisé à 9,90 EUR). Les actions Dexia sont maintenant valorisées à 2,81 EUR dans les comptes de Ethias bien que le cours de bourse soit environ 0,30 EUR. Il est vrai que les actions Dexia ne sont plus dans le bilan de la compagnie d'assurance Ethias (Ethias SA) mais elle sont encore dans le groupe Ethias (Ethias Finance SA). C'est plus un artifice comptable qu'une vraie vente (ce n'est pas totalement économiquement identique car cela protège un peu les assurés d'Ethias SA des pertes, mais cela reste principalement un artifice car la participation est dans la structure qui est à 100% propriétaire de Ethias SA). Ce transfère comptable n'a été possible que grâce à un emprunt de EUR 280m par Ethias Finance SA; un emprunt qualifié de "succès" pas Mr Thiry. Il déclare aussi que l'emprunt a été fait "aux conditions de marché" et souscrit "en grande partie par le privé". Je n'ai pas les chiffres exacts mais le ministre des Finances, Steven Vanackere, a déclaré récemment: "Nous voulons souscrire pour la même somme que les deux Régions ensemble, et pour un maximum de 100 millions d'euros, aux obligations émises par Ethias". En chiffres, 280 moins 200 cela fait 80 et 80 est-il une "grande partie" de 280? Question suivante! Question: "En quoi l'emprunt est-il aux "conditions de marché" si presque personne n'en achète"? Réponse: "Une banque d'affaire nous a indiqué que c'était les conditions du marché." Question: "Cela ne ressemble-t-il pas à une aide d'état si l'état a souscrit à la majorité du montant?" Réponse: "La souscription c'est faite aux conditions du marché." Les questions sont posées plusieurs fois de différentes manières mais les réponses sont les mêmes et les députés n'insistent plus.

La question de la réduction plus rapide des portefeuilles Dexia (le portefeuille Financial Products provenant de FSA et le portefeuille résiduel de Dexia elle-même) a été posée à plusieurs reprises. La réponse est que la vente créait une perte supplémentaire (la perte passait de 15% à 25% du nominal du portefeuille). Encore une fois cette réponse est la vérité mais pas toute la vérité. Cela créait peut-être une perte comptable supplémentaire mais pas une perte économique supplémentaire. La valeur de ces obligations dans le bilan de Dexia n'était pas leur valeur de marché, c'est pourquoi une vente créait une perte; mais en terme de réalité économique cela ne changeait rien. L'argument est que cela mettait en cause la solvabilité de l'entreprise et ne lui permettait plus de résister à un choc économique supplémentaire. Cet argument est fallacieux; cela mettait en cause la solvabilité telle que décrite par les chiffres de solvabilité réglementaires mais diminuait le risque de l'entreprise et donc améliorait sa résistance véritable aux chocs économiques. Les chiffres réglementaires de solvabilité et les stress tests européens (voir mon court blog sur les stress tests) ne sont pas nécessairement en ligne avec la réalité économique.

Un autre moment intéressant est quand Mr Thiry évoque le payement d'un dividende "par action bonus" fait par Dexia. Sa description est que c'est "de la monnaie de singe pour des raisons comptables". Cela me semble assez clair comme description, l'information qui manque est de savoir combien cela a couté de créer cette "monnaie de singe". Cette monnaie de singe a permis au Holding Communal de créer un bénéfice comptable et de payer un dividende (voir mon analyse [1] du dernier rapport annuel du Holding Communal). Ce cash qui est sortit du Holding Communal est du cash qui n'est plus disponible pour rembourser les débiteurs du Holding en liquidation (donc les prêts consentis par Dexia au Holding). Cette monnaie de singe a donc couté à Dexia en travail légal et administratif et en non-remboursement d'une partie des prêts. Peut-être pas vraiment de la "monnaie de singe" en regardant cette décision de plus près, peut-être une "perte par des singes" (cette fois le terme est de moi!).

On a demandé à Mr Thiry son point de vue sur le modèle Dexia. Après une réponse générale il a indiqué que si quelqu'un avait évoqué avant 2008 la possibilité d'une crise de la dette souveraine en Europe au conseil d'administration de Dexia "on" l'aurait considéré comme un "doux dingue" (le terme est de lui). Et là il met le doigt sur le problème dans le conseil d'administration (et comité de direction) de Dexia: "on" n'avait pas les compétences et l'expérience pour évoquer et analyser des scénarios possibles. J'en parlais dans mon blog Econome avec la vérité!. D'après ce que j'entends, l'analyse de scénarios possibles n'a jamais été faite, le conseil d'administration et le comité de direction ont simplement pris un scénario rose et rêvé d'un future qui n'existera jamais. "Gouverner, c'est prévoir" disait Emile de Girardin au XIXème siècle. Il semble que les "gouvernants" du XXIeme siècle soient arrivés dans ce XXIème siècle sans passer pas la case XIX. Dans le même genre d'idée, Mr Thiry a indiqué que le rôle du conseil d'administration était en général passif et il demandait rarement une analyse en profondeur des dossiers qui leur étaient présentés. En cohérence avec mes voeux, je ne voterai pas pour la présence de Mr Thiry au conseil d'administration d'une banque (je sais je n'ai pas de droit de vote direct sur ce point mais indirectement oui, certaines personnes pour qui je peux voter choisirons ceux qui choisirons ces membres). C'est le rôle du conseil d'administration d'analyser en profondeur les propositions et c'est pour leur compétence à faire l'analyse eux-mêmes que ses membres sont désignés.

En résumé, une expérience intéressante. J'y retournerai si je ne me trouve pas trop loin du parlement lors d'une prochaine séance. Mais néanmoins un petit goût de trop peu!

[1] A noter que depuis quelque temps les informations sur le Holding Communal ne sont plus disponibles. Si vous allez sur le site du Holding, il y a juste une page avec "Holding Communal SA - en liquidation" mais les informations, en particulier les rapports annuels, ne sont plus disponibles. Non, vous n'êtes plus autorisés à savoir comment votre argent a été perdu.

Le badge d'entrée aux débats de la commission pour le public.

mercredi 11 janvier 2012

Soyons négatifs!

Drôle d'époque: période de réchauffement climatique où les températures d'hiver sont positives et de refroidissement économique où les taux d'intérêts sont négatifs.

Il y a une vielle blague sur les mathématiciens: Un mathématicien est quelqu'un qui croit que si trois personnes sont supposées être dans une pièce et cinq personnes en sortent, il faut que deux personnes y retournent pour que la pièce soit vide. On peut voir cela de deux façons; soit les mathématiciens sont des gens qui n'ont aucun sens des réalités ou bien ils sont des précurseurs qui n'ont pas peur des nombres négatifs et qui ont inventé l'anti-matière avant les autres.

Le titre de ce blog est "Soyons négatifs!", ce n'est pas une incitation à la dépression mais plutôt une suggestion de voir les taux négatifs comme une marque de confiance. Je voudrais donc faire une petite liste des marchés financiers où on peut trouver des taux négatifs, juste pour le plaisir d'une compilation de confiance.

Il y a quelques années la "sagesse" parmi les économistes et financiers était que les taux d'intérêts ne pouvaient pas être négatifs. L'explication était que si les taux sont négatifs, on peut emprunter à des taux négatifs, aller chercher des billets à la banque et les garder sous son matelas avec un profit certain (un "free lunch"). Un tel raisonnement n'est que très superficiellement convaincant. Un raisonnement similaire pourrait montrer que les taux ne pourraient être positifs. Si les taux sont positifs, tous ceux qui ont des billets les apporteraient à la banque pour recevoir des intérêts; pourtant il y a des milliards d'euros en circulation en billet de 500 euros. Simplement les instruments financiers avec intérêts et les billets de banque sont des manières différentes de conserver de la valeur; elles sont proches mais pas identiques.

J'en viens donc à ma liste d'instruments à taux négatifs.

Je commence par quelque chose de facile (c'est l'entrée): les taux d'intérêts réels, c'est-à-dire les taux d'intérêts au dessus de l'inflation. Un certain nombre d'états émettent des obligations dont les coupons ne sont pas fixes mais un certain taux au-dessus de l'inflation (obligations appelée "inflation linked bonds"). Les principaux émetteurs de ces obligations sont les USA, le Royaume-Uni, la France, l'Italie, la Grèce et l'Allemagne. La Belgique ne fait pas partie de cette liste et personnellement je trouve cela dommage. Le Royaume-Uni est l'exemple le plus spectaculaire de taux réels négatifs: toutes ses obligations liées à l'inflation ont des taux négatifs, et il y en a avec des maturités jusqu'à 50 ans (mars 2063). Cela veut dire que certains sont prêts a investir sur 50 ans en sachant qu'à la fin ils pourront acheter moins de pains qu'avec l'argent qu'ils investissent maintenant (une particularité du marché britannique est des contraintes réglementaires sur des fonds de pension). Les taux réels varient entre -2.2% et - 0.12% Ensuite je mentionnerai l'Allemagne dont toutes les obligations liées à l'inflation sont également à taux négatifs mais il y en a seulement quatre avec des maturités de huit ans maximum (entre -1.12% et -0.18%). Les taux des "TIPS" américains sont négatifs jusqu'aux maturité juillet 2021 (le plus bas -1.47%). Pour la France les taux des obligations avec maturité jusqu'en juillet 2013 sont négatifs (le plus bas est -1.57%), les taux des obligations de plus longue maturité sont positifs. Comme on peut s'y attendre les taux Italiens et grecques ne sont pas négatifs; il sont même très positifs (+4% à +6% pour l'Italie et +25% pour la Grèce).

Maintenant le plat de résistance: les taux nominaux. Là il y a beaucoup plus de place où regarder. Commençons par le plus connu: l'Allemagne. Les certificats de trésorerie (Bubills) ont tous des taux négatifs (entre -0.18% et -0.01%). Si on veut des taux positifs il faut investir pour deux ans! Puis notre voisin, les Pays-Bas avec des taux négatifs jusqu'à trois mois (entre -0.14% et -0.02%). Un moins connu peut-être: la Finlande. Les taux gouvernementaux y sont négatifs jusqu'à deux mois (entre -0.07% et -0.05%). Ensuite le plus spectaculaire: la Suisse. Les obligations gouvernementales ont des taux négatifs jusqu'à 3.5 ans de maturité (de -0.18% à -0.06%). Le taux des obligations avec maturité de deux ans ont été négatifs de manière régulière depuis aout 2011. Les taux interbancaires ont été négatifs entre août et octobre 2011 avec un minimum de -0.12%. Le premier future sur Libor en CHF (FES) avait un prix supérieur à 100% (un taux implicite négatif) entre août et octobre 2011 et de mi-décembre au début janvier. Le taux au jour le jour a été aussi bas que -0.29% (aout 2011). Les swaps contre taux ou jour le jours (OIS) sont négatifs jusqu'aux maturité de deux ans. Et pour terminer, USA. Les taux des tresuary Bills sont pour le moment positifs mais ils étaient négatif à certains moments en 2008 et 2009 (blog WJS) et en septembre et décembre 2011.

La vielle "rumeur populaire" d'économistes et de financiers sur l'impossibilité des taux négatifs est de plus en plus démentie par "la main invisible" des marchés. Je lance donc un appel généralisé: Soyons négatifs! Ce appel doit être interprété comme: Inspirons tellement confiance qu'on nous prête à des taux négatifs! Evitons d'être Econome avec la vérité!

Un hiver avec des températures négatives!

jeudi 5 janvier 2012

Prêts de la BCE : beaucoup de liquidités ... et beaucoup d'incompréhension.

La BCE a injecté beaucoup de liquidités dans le marché par des prêts aux banques commerciales (bien qu'elle en enlève une partie par ailleurs: voir mon blog de 2008 qui est toujours d'actualité). En plus des prêts standard (Main Refinancing Operations - MRO) à une semaine, elle a récemment fait des prêts à long terme (jusqu'à trois ans). Ces prêts ont créés beaucoup d'incompréhension et sans doute aussi de la désinformation intentionnelle. Ceux qui me lisent régulièrement (comme c'est gentil à eux) savent que je ne suis pas un grand défenseur des (managements incompétents des) banques, mais ici je les défendrai (un peu).

Je voudrais discuter plusieurs aspects de ces prêts long termes. Le premier est le taux d'intérêts associé. Le taux choisi est pour moi étrange; la façon dont il est calculé est non-standard. Le second est la possibilité pour les banques d'emprunter à l'ECB et de prêter aux états à des taux bien supérieurs; qui n'est pas aussi simple que certains voudraient le faire croire.  Le troisième est un article par Michel Rocard et Pierre Larrouturou paru récemment dans Le Monde qui bien qu'il ne mentionne par directement ces prêts le fait indirectement et est pour le moins tendancieux, pour ne pas dire incorrect et malhonnête.

Le premier aspect est le calcul du montant d'intérêt pour les prêts à long terme. Il sera calculé et payé en une fois à la fin de la période (au bout des trois ans) comme la somme arithmétique des intérêts des MRO à une semaine (somme des 156 semaines). Ce n'est donc pas un taux fixe de 1% pour la durée totale de trois ans comme on peut le lire souvent. Il n'est pas facile d'avoir les détails de ce calcul; même en contactant directement la BCE elle renvoi simplement à un communiqué de presse de 2010 concernant des prêts à trois mois (et pas à trois ans). Ce n'est pas un bon point pour la transparence! Ce calcul du taux est un peu étrange; les intérêts ne sont pas composés. Dit autrement, l'intérêt de la première semaine n'est pas payé à la fin de la première semaine mais seulement à la fin des trois ans. En terme technique pour calculer la valeur d'un tel prêt, il faut utiliser des "ajustements de convexité" ou "timing adjustements". Il y a beaucoup d'appels pour un retour à des instruments financiers plus simple. La BCE n'a pas entendu ces appels et invente des instruments techniquement compliqués. Du travail en perspective pour les analystes quantitatifs.

Les banques vont-elle emprunter a la BCE à 1% et prêter aux états à du 5% en faisant un profit de 4% facile comme on peut le lire ici et là? Pour moi la réponse est clairement non! Je passe les détails techniques des limites sur la taille des bilans, les problèmes de liquidité et des haircuts sur le collatéral à la BCE qui rendent l'opération difficile. Le point principal est sur ce que représentent ces taux. Les taux de 5% correspondent à des taux à 10 ans qui n'ont rien à voir avec les prêts à trois ans. De plus comme mentionné plus haut le taux de 1% est un taux à court terme (une semaine). Pour faire correspondre la maturité des taux d'intérêts, l'investissement devrait se faire à court terme. Les taux à court terme sont assez bas. Par exemple les taux belges a trois mois étaient de 0.264% lors de la dernière adjudication [1]. Les taux plus courts sont encore plus bas. Ce type d'investissement se ferait donc à perte. L'investissement pourrait se faire jusqu'à la maturité, sans tenir compte du risque de taux. Les taux belge à trois ans sont aux environs de 3.15%, ce qui est mieux que 1%. Mais il reste le risque de "transformation" (emprunt à court terme pour un investissement long terme). Ce risque est celui qui a crée la crise des "saving and loans" (http://en.wikipedia.org/wiki/Savings_and_loan_crisis) aux USA dans les années 80 et 90 et de très nombreuses faillites. Le risque de taux pourrait être couvert par des produits dérivés (mais cela ajouterait un risque opérationnel et de crédit dans l'histoire). Il y a des produits dérivées liés aux taux Eonia ou Euribor mais il n'y a pas de produit standard lié aux taux MRO, ce qui laisserait encore un risque de spread. En couvrant avec des swaps 3Y (contre Eonia) et sans tenir compte des risques de spread, cela porte le taux à trois ans à 1.20%. Il reste un peu de marge mais déjà beaucoup moins. Cette marge est-elle suffisante pour couvrir les risques de crédit (défaut) sur les trois ans, la fluctuation des profits annuels, le risque opérationnel, les risques de spread et la pression sur la liquidité? Poser une question aussi longue est y répondre!

Ajouté le 9 janvier 2012: De plus si une banque a un bilan suffisamment solide pour faire cette manoeuvre, elle la fera plutôt à travers des emprunts interbancaires au jour le jour sous les 0.40% (qui peuvent être échangés pour du 3Y avec un OIS à 0.60%) ou des repos en dessous de 0.15%.  En cas d'absence de problème cela donnerait des profits annuels de 2.55% et 2.80%. Et si elle voulait jouer le non-défaut de la Belgique elle pourrait le faire par des CDS à environ 3.30%. Pour les banques qui ont la capacité de prendre ce risque, le faire à travers un emprunt à la BCE est donc la plus mauvaise solution.

J'en viens à l'article de Rocard et Larrouturou paru sur le site de Le Monde le 2 janvier. La conclusion qui me vient à l'esprit en lisant l'article est que je sais pour qui je ne voterai pas (pour autant qu'il se présente à une élection où je peux voter) et à qui je ne demanderai pas de conseil économique. Le texte est un tel composé d'approximations, d'erreurs et d'amalgames que je ne sais si c'est du à une malhonnêteté intellectuelle ou une incompétence, peut-être un peu des deux. L'article cite des chiffres mais sans référence précise si bien qu'il est difficile de savoir ce qu'il y a exactement derrière. Je ne suis pas un grand défenseur de la BCE et de la façon dont la crise est gérée mais ce n'est pas en utilisant des arguments erronés qu'on parviendra à changer les choses dans le bon sens.

Commençons par le montant de 1 200 milliards (de USD). Il semble correspondre à la somme des montants prêtés; il n'y a pas d'indication sur leur durée. S'il s'agit de prêts au jour le jour, cela ne fait que 1 milliard par jour depuis le début de la crise, un montant très petit. Mais comme il n'y a pas de précision sur l'origine des chiffres (ni de référence précises aux articles originaux de Bloomberg), on ne peut estimer s'ils sont en réalité grand ou pas. A titre de comparaison, le dettes des USA est d'environ 14 000 milliards et l'ECB a injecté 500 milliards avec ses prêts à trois ans.

Poursuivons par le taux de 0,01% mentionné (encore une fois sans préciser ce qu'il recouvre exactement). C'est un taux à court terme en USD. Les taux de référence de la Fed sont entre 0 et 0,25%; le taux est donc dans la fourchette. Les taux (interbancaires) au jour le jour (Fed fund effective) sont en dessous de 0.10% depuis plusieurs mois; les USA empruntent à court terme à des taux proches de 0 et parfois à des taux négatifs; à court terme les états européens empruntent en EUR à des taux bas (0.25% pour la Belgique à 3 mois, 0 pour les Pas-Bas) qui quand ils sont convertis (en utilisant le différentiel de taux) donnent des taux négatifs en USD; les taux en CHF sont négatifs. Les prêts aux banques en question sont des prêts avec collatéral (c'est-à-dire avec dépôt d'une garantie). Le taux de 0,01% n'est donc pas surprenant; il est peut-être un peu favorable mais pas énormément.

L'article compare ce taux de 0.01% en USD à des taux de "6, 7 ou 9%", sans préciser à quoi correspondent ces taux (ni pourquoi cette ségrégation contre le 8%). On peut deviner qu'ils correspondent aux taux qu'on a vu dans la presse ces derniers mois, c'est-à-dire des taux à 10 ans des gouvernements en EUR. Comparer ces taux n'ayant aucun rapport est faire preuve de mauvaise fois ou d'incompétence. Outre la différence de maturité et de devise il y a une différence majeure dans le risque de non remboursement. Le premier taux est pour des prêts collatéralisés et les autres pour des prêts sans garantie; les banques qui ont perdu "volontairement" 50% du notionnel de leur obligations grecques peuvent vous expliquer la différence. Il y a aussi une référence indirecte à la BCE en mentionnant les termes "qui se financent habituellement à 1%". Confondre la Réserve fédérale et la BCE est encore une fois faire preuve de méconnaissance de la finance internationale ou de malhonnêteté.

Le "profit imaginaire" mentionné dans la partie précédente est décrit avec un "tout en sachant qu'il n'y a sans doute aucun risque réel". Les banques qui ont "volontairement" perdu 50% de la valeur nominale de leurs obligations grecques apprécieront cette description. Le texte parle aussi de "rente des banques privées". Dexia (holding) qui est en quasi liquidation en grande partie à cause de ses investissements dans des obligations gouvernementales (et de pouvoirs locaux) appréciera; sans oublier que Dexia a été crée et gérée en grande partie par des "grand commis de l'état français" comme Mr Rocard et plus récemment par un collègue "ancien premier ministre" de Mr Rocard. Et faut-il mentionner le "certains pays voient le prix de leurs bons du Trésor doubler ou tripler en quelques mois" alors que c'est les taux et non les prix qui ont changés de cette manière (il ne s'agit pas d'une faute de frappe, l'argument étant répété quatre fois avec des tournures différentes)? Bien sur tous le monde n'est pas d'accord avec moi sur l'intérêt de l'article et comme j'aime les débats je pointe vers un blog de Simon Thorpe avec une opinion opposée.

Ajouté le 6 janvier 2011: L'article de Bloomberg à l'origine de l'article mentionné ci-dessus semble être: http://www.bloomberg.com/news/2011-05-26/fed-gave-banks-crisis-gains-on-secretive-loans-as-low-as-0-01-.html. Les prêts ont été faits pour des durées de 28 jours. Le montant de 1 200 milliards n'y est pas mentionné. Le montant maximum de ces prêts à n'importe quel moment était de 80 milliards. Le taux de 0,01% mentionné est le taux minimum (et pas un taux moyen) qui a été utilisé une seule fois (le 30 décembre 2008; le montant n'est pas mentionné). Ces deux précisions montre que non seulement l'article est tendancieux mais contient aussi des mensonges pures et simples. Une autre précision utile est que les prêts mentionnés dans l'article de Bloomberg concernent 2008 (à une époque où le taux de la Fed était de 0.50%). Les taux que je mentionnais correspondent aux taux actuels. Les comparaisons de taux que je fais ne sont donc plus tout à fait pertinentes. Je n'ai pas toutes les bases de données de 2008 pour produire des chiffres similaires pour cette période. Néanmoins à cette période certains Treasury Bills avaient des intérêts négatifs (donc en-dessous du taux minimum indiqué dans l'article de Bloomberg): voir par exemple ce blog du WSJ de décembre 2008.

En résumé, la BCE a injecté des liquidités dans le marché et les banques doivent lui dire merci. Cela a été fait avec une formule étrange à mon goût et qui offrira aux analystes quantitatifs un peu de travail. Ces liquidités ne créeront pas un profit miraculeux et facile pour les banques, contrairement à ce que certains prétendent, mais espérons qu'elles leur permettront de survivre et de continuer à jouer leur rôle de rouage de l'économie. L'article des deux compères m'a bien amusé; ce n'est pas aussi bon que du Coluche mais cela détend en période de crise!

Et bien sur le plus important: tous mes meilleurs voeux pour 2012!

Les intérêts composés constituent la force la plus puissante de l'univers.
Albert Einstein 1879-1955




[1]  Adjudication du 3 janvier. La précédente a été faite à du 0.78%. Source: agence de la dette: http://debtagency.be/fr_products_tc_results.htm.