samedi 24 mars 2012

LIBOR, mon beau LIBOR.

Depuis le début de la crise on a vu apparaitre dans la presse plusieurs références aux indices Ibor (Libor, Euribor, Tibor, …). Ce type de chiffre est publié depuis plus de 25 ans; le premier chiffre de BBALibor a été publié en janvier 1986. Mais ce qu'il représente exactement ne semble pas clair pour tout le monde.

Un point important de ces chiffres est leur définition exacte. La définition de Libor est la réponse à la question: "At what rate could you borrow funds, were you to do so by asking for and then accepting inter-bank offers in a reasonable market size just prior to 11 am?” Reference: http://www.bbalibor.com/bbalibor-explained/the-basics . Une traduction très libre serait: "les taux auxquels les banques prétendent qu'elle pensent qu'elles pourraient emprunter dans un marché qui n'existe plus". Cette définition est un peu provocatrice mais n'est pas très loin de la vérité. Les chiffres sont calculés comme des moyennes de chiffres fournis par des banques. Les banques doivent faire une estimation de leur coût de financement et fournir le chiffre. Il n'y a pas de description de comment l'estimation doit être faite ni de qui dans la banque doit la faire. Le début très conditionnel de ma définition reflète ces incertitudes. Les chiffres fournis ne sont pas liés à des transactions réelles, qui bien souvent n'existent pas. La définition fait référence au marché des prêts interbancaires. Depuis le début de la crise en 2007, ce marché a fortement diminué pour être quasiment à l'arrêts à certains moments. C'est cette absence de marché sous-jacent fonctionnant de manière efficace justifie le "qui n'existe plus" de ma définition.

Les chiffres Libor (or Euribor) sont souvent appelés "taux (d'intérêts)". Je préfère utiliser le terme "indice". Le but de ces chiffres est de représenter un taux. Mais comme les chiffres ne sont pas des vraies transactions et qu'il y a une manipulation des chiffres (les chiffres extrêmes sont éliminés et une moyenne arithmétique des chiffres restants est calculée), le terme "indice" est plus neutre. De plus l'utilisation de ces chiffres se fait sous licence (de BBA ou Euribor-EBF) et est en générale payante. Les "faits" (comme l'heure de levé du soleil ou les jours du calendrier) ne peuvent pas faire l'objet d'un enregistrement ou d'une licence. L'existence de cette licence renforce l'idée que les chiffres sont plus des oeuvres de fictions sur lesquels il y a un "copyright" que des faits.

Ces détails et différences subtiles entre indices, vrais taux interbancaires et taux sans risques semblent être découverts par certains depuis la crise. Les analystes quantitatifs et les traders expérimentes connaissaient la différence et en tenaient compte. Quelques articles académiques ont développé des cadres théoriques de ces différences. Mais ces détails ne semblent pas avoir été compris et utilisés par la majorité, en particulier par les économistes, les comptables et le management des banques. Une recherche sur internet permet de trouver ces articles datant d'il y a plus de cinq ans. Mais si on en croit les rumeurs (ou des articles de presse comme celui de Risk qui mentionne Dexia), un certains nombre de banques ont attendu plusieurs années pour introduire ces différences dans leur comptes. Non pas parce que les connaissances manquaient ou à cause d'une impossibilité pratique de les calculer mais les introduire dans les comptes mettait en évidence des pertes existantes et des risques. Malheureusement ces rumeurs sont invérifiables parce que les entreprises (financières en particulier) ne sont pas obligées de détailler les techniques qu'elles utilisent pour estimer la valeur de leur bilan. Tout au plus indiquent-elles qu'elles utilisent des "best practice" qui sont souvent en réalité de vielles recettes de grand mère mais la grand mère n'est plus là pour expliquer comment s'en servir.

Ces chiffres Libor, qui à l'origine étaient simplement une estimation de taux interbancaires qui était utilisée par les banques elles-mêmes, sont maintenant utilisés dans d'autres contextes (prêts aux entreprises, crédit hypothécaires, emprunts de collectivités locales, etc.). C'est le cas d'un chiffre utile dont l'utilisation est allée bien au-delà de ce pour quoi il a été crée; avant de ce plaindre du chiffre lui-même, les utilisateurs devraient faire leur "mea culpa" et accepter que cela est un peu de leur propre faute. Ils utilisent un chiffre sans savoir ce qu'il représente vraiment. Cela me fait penser aux agence de notation dont l'opinion n'a pour moi pas plus de valeur qu'un article de presse (et c'est aussi la défense des agences de notations elles-mêmes) mais "on" leur a donné une valeur de vérité universelle. Les coupables sont les "on", entre autre la BCE, autant que les agences.

Il y a aussi des affirmations étranges qui circulent dans la presse en lien avec les taux Libor ou Euribor. Une d'elle concerne les "swaps" (entre un taux fixe et un taux Ibor). La presse indique régulièrement que ces taux swap en Euro sont liés aux taux gouvernementaux allemands [1]. Il est assez difficile de comprendre d'ou vient cette affirmation. Les chiffres Euribor sont calculés comme des moyennes de chiffres fournis par différentes banques internationales; il n'y a rien de lié au gouvernement allemand. Les banques allemandes ne représentent qu'une petite minorité du panel. S'il fallait donner une nationalité aux taux Euribor, ce serait belge: la société qui a les droit sur ces taux est une société de droit belge (Euribor-EBF). La seule raison pour laquelle les taux swaps peuvent très indirectement être comparés aux taux allemands est leur niveaux. Avec la crise les taux des pays moins solides ont fortement augmenté alors que les taux allemands et les taux swap sont restés bas. Mais si c'est là le seul argument, ont pourrait de la même façon dire que ce sont des taux hollandais ou finlandais. Pour moi l'origine de cette "rumeur" est assez mystérieuse mais elle est répétée régulièrement.

Les taux swaps sont souvent décrits comme des taux interbancaires. Cette affirmation peut être vue comme correcte dans un sens très restrictif, mais sans plus de précision, elle induit fortement en erreur. Le taux d'un swap est le taux annuel fixe que les parties acceptent d'échanger contre un paiement régulier (trimestriel ou semi-annuel) d'un index Ibor; l'index lui-même représentant une moyenne de taux interbancaires présumés. Il est important de noter que les banques participant au paniers Ibor sont revues en permanence et les chiffres des banques les plus faibles (les taux les plus hauts) sont éliminés de l'index. Le crédit sous-jacent à un swap 5 ans est le risque trimestriel d'un panier de banques de bonne qualité (les mauvaises banques sont enlevées du panier) et dont on a enlevé les plus faibles. C'est donc un risque interbancaire revu de manière régulière et dont le risque principal a été enlevé. C'est assez loin d'un vrai risque interbancaire avec un contrepartie fixe. C'est pourquoi les taux payés par les banques sur le moyen terme (5 ans) sont bien supérieurs aux taux swaps. Les banque payent en général entre 50 et 200 points de base (0.50% à 2.00%) au-dessus du taux swap.

Les indices Ibor, a l'origine un outil pour les banques, ont été utilisés, sans doute à tort, par de plus en plus de monde qui les comprenaient de moins en moins; avec la crise cette ignorance répandue a pris plus d'importance. Mais il n'y a rien de nouveau sous le soleil de Ibor, cela reste un outil crée par les banque pour les banques et relativement bien compris par une minorité d'experts. Malheureusement il a été mal compris par le management des banques et certains utilisateurs ont été mené à croire que c'était un chiffre objectif.

[1] Voir par exemple L'Echo du 17-18 mars, page 23, dans un article sur Dexia.